Rapport de la Chambre régionale des comptes : « Une gestion marquée par l’imprévoyance et les dépenses excessives »

Une opposition lucide face à un maire qui banalise l’alerte des magistrats

Lors du Conseil municipal de la Ville du Mans, l’opposition a pris acte des observations définitives de la Chambre régionale des comptes (CRC) sur la gestion municipale entre 2018 et 2022. Pour Olivier Biencourt, élu du groupe Citoyens Écologistes et Solidaires (CES), ce rapport valide noir sur blanc les alertes que notre groupe formule depuis plusieurs années : explosion des dépenses d’investissement, affaiblissement de l’autofinancement, augmentation rapide de la dette et manque de transparence budgétaire. Loin d’y répondre sérieusement, le maire, Stéphane Le Foll, s’est contenté de banaliser les alertes des magistrats, préférant l’ironie au débat de fond. Nous appelons à un tournant dans la gestion municipale.


Intervention d’Olivier Biencourt

Merci, Monsieur le Maire. Serge a très bien expliqué la procédure qui amène ce rapport en débat devant le Conseil municipal. On a donc à discuter ce soir de ce que les spécialistes appellent le ROD – Rapport d’observation définitif – qui intègre les réponses et les observations faites par l’ordonnateur.

Ce rapport de la Chambre régionale des comptes, à mes yeux, ne rend pas assez justice à ce qui sera l’une des grandes avancées de votre mandat, c’est-à-dire l’existence désormais de comptes rendus intégraux des débats, comme il y en a dans d’autres assemblées.

Chers collègues, comme vous, j’ai lu très attentivement le rapport de la Chambre régionale des comptes, mais j’en ai fait une lecture comparée en mettant en parallèle ce que nous avons dit ici de débat budgétaire en débat budgétaire — quand je dis « ici », c’est une image, puisque les débats budgétaires, le Maire le rappelait, vu le contexte, ont eu lieu au Parc des expositions, aux Saunières — mais en tout cas, les discussions que l’on a eues, et grâce à cette avancée, procès-verbal des séances en faisant foi.

Je vais bien sûr — vous n’allez pas être surpris — centrer mes quelques remarques sur le point 6 du rapport de la Chambre régionale des comptes portant sur la situation financière. Excusez-moi, vu l’heure tardive, mais forcément, à son grand désespoir, dire la même chose que le Maire, puisque les chiffres sont dans le rapport, il les a dits, je vais les redire.

Sur la période étudiée, qui est donc la période 2018–2022, le Maire l’a dit, les magistrats, la Chambre régionale des comptes, relèvent des investissements cumulés à 114,3 M€, avec — je cite — « une très forte augmentation en 2022 ».

Cela nous renvoie justement à votre débat budgétaire lorsqu’a été discuté — on s’était abstenus — le budget 2022. Souvenons-nous, ce débat était aux Saunières. Au nom du groupe, j’avais pointé des inscriptions conséquentes des dépenses d’investissement, et que faire ces inscriptions conséquentes dans un contexte de tension inflationniste sous-jacente, voire déjà présente, voire qui démarrait, était porteur d’un risque.

Pour me faire comprendre, faire image, j’avais dit que peut-être que quand on conduit dans le brouillard, il est prudent à un moment donné de ralentir la vitesse.

Puisque finalement, ce que fait la Chambre régionale des comptes est une photo au 31 décembre 2022, Monsieur le Maire et Serge l’ont très bien dit, regardons ce bilan fait au 31 décembre 2022. Que constate la Chambre régionale des comptes ? Est-ce vraiment une surprise ? Elle constate que le risque que l’on pointait début 2022 s’est réalisé, et donc, en vrac, cela se voit sur nos indicateurs de gestion :

  • capacité d’autofinancement qui passe de 8,4 à 2,7 pour atteindre, dans le vocabulaire de la Chambre, un « niveau très préoccupant »,
  • un taux d’autofinancement moyen des investissements qualifié « d’insuffisant »,
  • un encours de la dette de 10,5 M€,
  • une capacité d’endettement passant de 4,5 à 7,1.

On a déjà eu ce débat au moment du compte administratif 2022. Je serais tenté de dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! La seule chose nouvelle, c’est que nous le disions. Maintenant, les choses sont dites avec l’objectivité des magistrats de la Cour.

Il est intéressant de noter dans votre réponse à la Cour deux choses : d’abord, que vous ne répondez pas à la Cour comme quand vous nous répondez. C’est-à-dire que quand je dis « inscriptions conséquentes », cela vous énerve ; quand ils disent « forte augmentation », vous ne répondez pas dans les mêmes termes. Je ne suis pas sûr que mon vocabulaire soit beaucoup plus différent du leur.

Sur le fond, pour expliquer cela, vous évoquez — vous venez de le dire — les tensions inflationnistes qui se sont produites. Je le redis. Certes, je ne conteste rien dans ce que vous avez dit, je dis simplement qu’à la construction du budget 2022 — c’était là notre désaccord à ce moment — comme elles étaient présentes, on vous demandait de les anticiper, plutôt que d’avoir à les constater après et déplorer leurs effets.

Bien sûr, je vais vous faire plaisir, Monsieur le Maire, la Cour fait un bilan au 31 décembre 2022. L’histoire ne s’est pas arrêtée à cette date. L’année 2023 est finie et nous sommes en 2024. Je viens d’entendre deux ou trois choses. Sur l’année 2023, nous aurons bientôt le compte administratif 2023. Je ne le connais pas encore complètement ; vous, oui, et on vient d’entendre un certain nombre de chiffres.

À la place qui est la mienne, ce que je sais à ce jour de l’exercice 2023, on peut déjà dire qu’un certain nombre d’indicateurs économiques évoqués dans le rapport de la Chambre vont poursuivre leur évolution sur 2023. On peut en effet penser que :

  • l’encours de la dette va augmenter. Serge doit connaître le chiffre exact ; moi, à la louche, je dirais 15 M€. D’ailleurs, tu viens de le dire, c’est souvent 15 qu’il nous reste à la fin, donc je pense que je ne me trompe pas beaucoup. Tu me corrigeras.
  • la dette par habitant va augmenter, elle sera au-dessus des 553 € que note la Cour.

Mais — vous l’avez dit, Monsieur le Maire, et je vous en donne acte aujourd’hui, cela m’évitera de le dire au prochain Conseil au moment du compte administratif — on sait aussi que la capacité de désendettement va baisser en 2023. Je crois d’ailleurs que vous avez donné le chiffre. Moi, je ne l’ai pas…

Et donc je vous en donne acte aujourd’hui, ce qui prouve que je n’aurai donc pas besoin de le dire lors du débat du compte administratif. Cela veut dire que finalement, la Chambre, sur 2022 puisque c’est bien 2022 le sujet, dit ce que l’on pointait dans des termes pas forcément très différents.

Je voudrais poursuivre et terminer par trois remarques.

Première remarque. Vous avez lancé le débat, Monsieur le Maire, je ne m’y attendais pas, au moment de la délibération 32, sur le taux et ce que j’ai déjà appelé ici « notre désaccord fondamental » que vous venez, au moment du débat sur la délibération 32 — plus bref que celui sur la 34 — de qualifier « d’épaisseur d’un trait ». Certes. Je reviendrai sur cette expression que vous avez employée aujourd’hui.

Sur nos richesses fiscales, que mentionne la Chambre régionale des comptes sur cette période ? Elle note que sur la période étudiée, les ressources fiscales pour notre collectivité ont augmenté de 7 %. Comment s’explique ce 7 % d’augmentation ? C’est lié pour une grande partie, dit la Cour, au dynamisme des bases et à la revalorisation forfaitaire de base. Cela veut donc dire que dans ce 7 % qui constitue ce que les Mancelles et les Manceaux ont payé en contributions à la collectivité en contrepartie des services qu’on leur rend, il y a l’effet de votre augmentation, de votre 34,71, de votre « épaisseur du trait ». Mais ce n’est pas cela l’effet majoritaire, c’est bien la revalorisation des bases, d’abord parce que comme elles sont indexées par l’inflation, on le voit bien dans la période récente, elles augmentent forcément.

Cela nous amène donc à penser, nous — et votre expression ce soir sur « l’épaisseur du trait », Monsieur le Maire, relativise un peu ce que vous disiez vous-même, parce que finalement, vous allez bientôt finir par être d’accord avec nous, faites attention — avions-nous besoin de l’épaisseur du trait ?

C’est pour cela — et nous en donnons acte dans nos débats, Monsieur le Maire — que ce taux de 34,37 qui était le nôtre sur la taxe foncière bâti en début de mandat, vu la revalorisation forfaitaire de base, vu ce dynamisme qu’évoque la Cour, il aurait été suffisant.

Cela m’embête de toujours dire la même chose, mais après tout, je ne sais plus qui a dit qu’on avait le choix entre se répéter ou se contredire. Tout le monde n’a pas la chance de succéder à Jean-Claude BOULARD, je l’ai déjà dit dans un précédent Conseil. Comme vous avez hérité d’une situation extraordinairement bonne, évidemment, la conséquence de 2002, c’est ce que note la Cour, sans que nos indicateurs tournent au rouge.

Deuxième remarque. Là aussi, je ne pensais pas que la délibération précédente ferait autant écho à ce qu’on vient de dire — est sur les investissements. Christophe l’a refait ce soir, mais Christophe le fait presque à chaque Conseil — on finit par avoir un numéro de duettistes et cela a le mérite que les uns et les autres, finalement, on ait le choix entre se répéter et se contredire ; je me répète, il se répète, tout va très bien — sur l’argument en disant « Puisque vous êtes contre, dites-nous sur quel investissement vous êtes contre ».

Il y a eu des débats, dans cette Assemblée, là-dessus, j’y reviens. Ce que montre très bien la Chambre régionale des comptes, c’est que la question pertinente n’est pas celle-là, ce n’est pas de prendre un investissement isolé du reste et dire « Alors, il est bien ou pas ? »

La question est de faire la somme, la concomitance, de faire ces 114 auxquels, là aussi, moi, je n’ai pas le chiffre exact — Serge l’a — à la louche, 29 M€ en 2023 ? Donc 114 + 29. C’est la concomitance de faire tout cela en même temps, au mépris — j’insiste — de la soutenabilité financière de l’ensemble. C’est cela, la question. C’est l’échafaudage que l’on fait, investissement par investissement, chacun peut se justifier, et quand on fait un échafaudage, messieurs, évidemment, cela pose un petit problème.

La Cour le dit. La Cour dit que le pilotage de ces inscriptions budgétaires sur les investissements peut être amélioré. Améliorons-les. Là aussi, Serge vient de le dire tout à l’heure en réponse à l’intervenant précédent, je pense donc que cela va être fait, mais nous devons déployer, pour ce pilotage des investissements, un plan pluriannuel d’investissement de manière plus conséquente que ce qu’il est aujourd’hui.

Qu’est-il aujourd’hui ? Il existe dans les services, il est vraisemblablement discuté dans les cercles restreints, la Cour mentionne qu’il est « discuté dans l’instance facultative que constitue le Bureau municipal » et qu’il n’est pas discuté en Conseil municipal, où ne sont discutés qu’un résumé et une présentation.

Je pense qu’il faut aller, pour que ce plan pluriannuel d’investissement qui doit être un guide — parce que cela doit être les investissements avec un ordre de hiérarchie — doit être présenté en Conseil municipal. Et la Cour dit que cela contribuerait à la bonne information de tous les élus que nous sommes, et à travers nous, de l’ensemble des citoyens. Mais j’ai entendu la réponse de Serge avant, il a dit que cela allait être fait, donc je n’ai pas d’inquiétude.

Troisième remarque porte encore sur la bonne gestion. La Cour pointe, sur la période, au plus haut niveau de la hiérarchie administrative de notre maison, des recrutements hasardeux. Le qualificatif de la Cour est même beaucoup moins élogieux que celui que je viens d’employer. La situation est régularisée à ce jour. Dont acte. Il n’y a pas de sujet là-dessus.

Par contre, la Cour révèle que le montage utilisé semble avoir pour seul objectif, je cite, « l’attribution de complément de rémunération aux agents » — fin de citation. Vous avez répondu à la Cour, qui mentionne que vos réponses ne sont pas étayées par les pièces justificatives.

Elle chiffre le trop-perçu par ces agents à 40,7 K€ et elle vous demande d’ailleurs, non pour l’intégralité de cette somme, mais pour les sommes non couvertes par le délai de prescription, de demander le remboursement.

Ma troisième remarque porte sur la première, « l’épaisseur du trait ». Parce que nous, quand on vous dit que quand on fait de la bonne gestion, on n’a pas besoin de l’épaisseur du trait, Monsieur le Maire, vous nous demandez souvent des exemples. J’ai ici un exemple d’une dépense que la Cour chiffre à peu près à 41 K€ qui, dans un contexte de bonne gestion, n’aurait pas été nécessaire, et donc, qui n’aurait pas été à faire supporter aux contribuables manceaux.

Conclusion. D’abord factuelle. Serge vient de commencer, il a été trop vite pour que j’aie eu le temps de noter tous les numéros, mais je relirai le compte-rendu. De toute façon, il y a obligation que le Conseil ait un rapport à venir pour montrer l’avancée pour répondre aux recommandations. Pour certaines, c’est fait, pour d’autres, c’est en cours. Je pense que dans les délais prévus — je crois un an, Serge sait cela mieux que moi — nous aurons ce rapport qui montrera comment tout cela a été mis en œuvre à partir de maintenant.

Pour ne pas vous décevoir, Monsieur le Maire, comme je disais tout à l’heure et en introduction, que je lis attentivement les procès-verbaux de nos séances. Vous avez, lors de la dernière séance, choisi sur le débat budgétaire 2024, de ressusciter ce qui avait été un slogan de campagne de Lionel JOSPIN : « Avec JOSPIN, c’est clair ». Je crois que la conclusion de la lecture du rapport de la Cour, la recommandation qu’elle vous donne, pourrait se traduire par un autre slogan de Lionel JOSPIN, d’une autre campagne, qui est : « Présider autrement ».

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